Que lis(i)ez-vous, à 20 ans ?

lundi 10 octobre 2011 à 15h53

Vous êtes plutôt Musso, Molière ou Twilight ? A l'âge où cessent, en principe, les lectures obligées, vers quels auteurs se portent les choix personnels ? Petit zoom sur vos tables de nuit à l'occasion de La Fureur de lire...

© Thinkstock

«Les jeunes ne lisent plus. Et quand ils choisissent un bouquin, c'est souvent n'importe quoi ! » Vrai ou faux, ce « propos de vieux » ? Quelle meilleure occasion que le vingtième anniversaire de La Fureur de lire (la vaste opération proposée chaque automne par les bibliothèques et les librairies de Bruxelles et de Wallonie) pour en avoir le cœur net ? Mais peut-on aisément comparer ce que lisaient les adultes d'aujourd'hui quand ils avaient 20 ans, à ce que lisent actuellement les jeunes de 20 ans ? Premier constat : « La lecture de livres est en net recul dans toutes les catégories sociales et d'âge, affirme Christophe Evans, spécialiste français de la sociologie de la lecture. La preuve ? On dénombre de nos jours autant de non-lecteurs de livres qu'au milieu des années 1960. Ce qui signale une régression évidente, puisque, entre-temps, le niveau moyen d'instruction s'est considérablement élevé... » Dans ce mouvement général de marche arrière, donc, « les gens se déportent dorénavant sur les magazines et les journaux en ligne. Le livre imprimé est fortement concurrencé par les gisements de textes d'Internet, assure le sociologue. Quant aux tablettes, les jeunes n'en font pas encore grand cas, dès lors qu'il s'agit d'y lire des livres... » Clairement, la lecture « littéraire » a perdu beaucoup de prétendants. « Le public se tourne vers des lectures plus pratiques et plus professionnelles. Mais ce n'est pas neuf... Il y a vingt ans, les jeunes avaient déjà pris leurs distances avec les "classiques". La grande littérature était déjà lâchée au profit d'autres types de lectures... »

Livre utile plutôt que livre savant

Pour autant qu'ils parcourent encore des livres, qu'est-ce qui attire désormais les 20-24 ans ? « Chez eux, le genre policier compte davantage d'amateurs qu'avant. Mais c'est surtout, à côté des mangas, l'heroic fantasy qui a décollé. Twilight - et d'autres romans dans cette veine - fait réellement un tabac », poursuit Evans. Confirmation auprès d'un bouquiniste bruxellois : « La BD et la fantasy sont des passions qui coûtent cher à certains de mes jeunes clients ! Beaucoup d'autres achètent "pratique" - cuisine, maquillage, modélisme, bricolage, origami, jeux de rôle... Enfin, c'est exact : excepté les étudiants romanistes, rares sont ceux qui restent curieux de littérature. Quant à la grande littérature française, c'est devenu zéro... » En France ou en Belgique, même scénario : « Vers 20 ans, le livre "utile" est désormais préféré à la littérature savante, selon Evans. Même si de nombreux jeunes continuent à rechercher une littérature abordable, un peu comme ils souhaitent entrer facilement dans des séries télé... » Parents qui désespérez parce que vos grands restent plongés dans des romans « bâclés », du Stephenie Meyer (pour les filles) ou du Stephen King (pour les garçons), soyez donc heureux ! Vos enfants, au moins, lisent encore des livres !

« Parmi mes élèves du dernier cycle, ceux qui apprécient la lecture sont devenus une minorité, témoigne Nicolas Marchal, 34 ans, professeur au séminaire de Floreffe et également écrivain, dont une nouvelle inédite sur le thème des 20 ans paraîtra justement dans le cadre de la Fureur. Les jeunes semblent surtout attirés par tout ce dont parlent les médias : Guillaume Musso, Marc Levy, Eric-Emmanuel Schmitt, Harry Potter... Je ne leur dis jamais que c'est nul, parce que c'est une étape. Si on prend du bonheur à lire ça, on peut aussi aller vers mieux... Moi, c'est parce que j'ai été respecté dans mes lectures de jeunesse que j'ai eu envie d'avancer. » « L'ado qui lit Stephen King à la récré, c'est déjà pas mal, renchérit Valérie de Changy, également professeure de français et auteure mise à l'honneur à la Fureur. A côté des lectures imposées, j'ai toujours laissé les élèves libres de lire ce qu'ils voulaient, pour ne pas bloquer le mécanisme, pour enclencher un phénomène de plaisir qui se maintiendra plus tard, bien après leur scolarité... » Ensuite, c'est sans doute une question de rencontres... « Un élève de rhéto m'a récemment mis dans les mains Big Fish, de Daniel Wallace, porté au cinéma par Tim Burton. En classe, ce fut une belle histoire d'échange, raconte Marchal. J'ai noté aussi que les jeunes accrochent pas mal aux auteurs contemporains qu'ils peuvent rencontrer. Ce fut le cas, pour nous, avec Paul Emond. » Sans doute, encore une fois, la force du « médiatique »... Mais « remarquez que ce qui séduit, aujourd'hui, les 20-24 ans (les Stephenie Meyer, Amélie Nothomb, Marc Levy, Guillaume Musso, Anna Gavalda, Ken Follett, Douglas Kennedy...) n'est pas exclusivement typique de leur cohorte, note Evans. Les 15-19 ans, les 24-35 ans et même les tranches d'âge supérieures sont également friands de ces auteurs qui ratissent large ! » Un consensus néanmoins interpellant : « Je m'interroge beaucoup sur le fait que tout le monde lise le même livre en même temps, remarque Valérie de Changy. Mon souci serait plutôt d'aider le jeune à trouver le livre qui lui corresponde, celui avec lequel, intimement, il entrera en relation singulière... »

On est loin, très loin, des grands classiques favoris des générations précédentes. Adorateurs de Proust, Flaubert ou Zola, passez votre chemin. Pourtant, si l'on jette souvent la pierre à l'arrivée des nouvelles technologies, ces dernières ne semblent pas y être pour grand-chose. Internet, au contraire, élargirait plutôt la diffusion des livres : « Il ne faut pas minimiser l'action positive de tous ces très gros lecteurs (ils dévorent du classique, du contemporain, de la littérature jeunesse, française ou traduite...) qui font durer et partager leurs passions en s'exprimant haut et fort sur le Net, par le biais de blogs littéraires », ajoute Evans. « Les jeunes sont très sollicités par toutes sortes d'activités. Or, pour apprécier la lecture, il faut un peu de plage d'ennui, tempère Valérie de Changy. Et pas un SMS qui arrive toutes les 5 secondes... » Consolation ? Les spécialistes l'affirment : à 20 ans, les jeunes conservent malgré tout des grandes pointures fétiches - les inaltérables Molière, Céline, Vian, Arthaud ou Orwell -, qui savent sans doute mieux que d'autres répondre à leurs questionnements existentiels. Enfin, être jeune et mordu de belles œuvres n'est pas incompatible : « Même si ce public s'est considérablement amaigri, il reste toujours des jeunes profilés "fans de grande littérature", assure Evans. Ce sont souvent des filles, d'ailleurs. La nouveauté, c'est que le choix de ces demoiselles est un peu "posé". En quelque sorte, ça leur permet de se valoriser. » T'as lu tout Stendhal ? Waow ! Genre !...

La Fureur de lire, du 12 au 16 octobre.

VALÉRIE COLIN

Source : http://www.levif.be/info/actualite/culture/que-lis-i-ez-vous-a-20-ans/article-1195116145751.htm

Que lis(i)ez-vous, à 20 ans ?

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